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LA PROPOSITION

Les écritures

Léa est accompagnée dans l’écriture du scénario par Catherine Paillé, avec laquelle elle a déjà collaboré pour son premier film. François Fehner et Marion Bouvarel ne réagissent pas de la même manière à la lecture de cette première ébauche. Cela ne les empêche pas d’être partants lorsque Léa, pour dénouer les noeuds de l’écriture, les sollicite avec d’autres membres de la compagnie Agit, dont sa soeur Inès, pour tenter des improvisations sur des scènes spécifiques. La démarche convainc Léa, et initie des pistes non encore explorées pour renforcer le scénario.

écrire et inventer un récit de vie dans sa complexité

Note d’intention du film _

par Léa Fehner

Je crois qu’au départ j’ai fait du cinéma parce que j’avais la trouille.
Quelques années après ma naissance, mes parents se sont lancés dans l’aventure du théâtre forain.
Caravanes et permis poids lourds dans leur besace, les mots du théâtre à offrir au plus offrant, ils ont arpenté la France de villes en villages entre averses et canicules, accueil triomphal et volets fermés.
Cela peut paraître aujourd’hui absurde, inconscient mais quand j’ai voulu moi aussi raconter des histoires, projeter mon regard, je crois que j’ai choisi le cinéma parce que j’avais la trouille.

La trouille des spectateurs, de leurs regards, la trouille des rues vides dans lesquelles on parade mal réchauffés par des costumes élimés. La trouille de vivre dans ces campements boueux sous les auvents troués, où le vent circule moins vite que les indiscrétions et les langues de putes. La trouille aussi de toutes ces grandes gueules, de ces gens pas sortables, mal élevés, exhibitionnistes. De la truculence d’une vie où pour parler au spectateur tu lui postillonnes dessus, où les enfants sont au
courant de la moindre histoire de fesse, où tu grandis au milieu des cris, du théâtre et des ivrognes.
Et c’est sans parler de l’ingérence de tous dans la vie de chacun, de ces corps qui se détruisent et se tuent, même pas à petits feux, du manque de thunes viscéral dont on clame que cela n’a aucune importance, des humiliations qu’on subit face à ceux qui réussissent mieux.
Et puis un jour tout s’est inversé. Peut-être parce que je n’ai plus l’âge d’avoir honte de ma mère quand elle chante dans la rue, peut-être aussi parce que je suis passée par la tornade d’un premier film, aujourd’hui quand je regarde leur travail j’ai envie de me lever et de les rejoindre sur scène. Là où je voyais des galères, je vois aujourd’hui du courage, cette proximité avec le spectateur qui me faisait tellement peur me fait aujourd’hui envie, les cris, les débordements, les dangers s’inscrivent
maintenant dans la fête, dans la vie. Tout ça je veux le filmer désormais, monter sur le cheval incontrôlable de ces histoires pour tracer une course nouvelle.
Et puis mince, après avoir porté un film « c’est bien mais qu’est ce que c’est triste » (ritournelle incessante de mes présentations publiques de Qu’un seul tienne et les autres suivront), j’ai envie de faire rire, d’embarquer dans une danse, de secouer aussi, de donner à voir, comme un coup au plexus, ces êtres puissants et drôles, indignes et inconséquents, arrogants et malhonnêtes. Ces hommes et ces femmes qu’on aime à la folie le premier soir et qui nous fatiguent prodigieusement le deuxième, qu’on aurait presque envie alors d’abandonner sur une aire d’autoroute pour que tout s’arrête. Ces ogres auprès desquels cela peut être si sportif de grandir, ces affamés de vie qui prennent toute la place et qui sans cesse dévorent.
Aujourd’hui je me dis qu’on peut être lucide sur le monde et faire des histoires violentes, gaies, avec de l’énergie. La neurasthénie n’a jamais rien soigné. Réanimons des utopies. Regardons des hommes et des femmes qui vivent en tribu sans en faire tout un plat, qui réalisent maladroitement un rêve de collectif que tous auraient jusqu’ici abandonné, qui n’ont de cesse d’abolir la frontière entre le théâtre et la vie, dans une volonté à tout crin de vivre intensément.
Alors forcément tout ça, ça fatigue, ça use, ça abîme et le film commence à cet endroit là. Pas dans les années 80/90, pas dans l’enfance de ce désir mais quand le désir rame pour être toujours là, quand il faut le provoquer pour qu’il reste vivant et que ton dos et ton corps demandent grâce.
Monsieur Déloyal et François sont les deux héros de cette course aux désirs, de cette lutte à la vie à la mort où l’on remplacerait les gourdins par les égos. Aujourd’hui ils vieillissent, ils se fatiguent et ils souffrent. Et comme aucun des deux n’a envie de vieillir, qu’ils ne respectent rien et surtout pas eux-mêmes, la compagnie va vivre au rythme de ces deux hommes qui se malmènent.
Bien sûr, toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé ne peut pas être fortuite et n’est absolument pas indépendante de notre volonté. Les histoires d’amour sont celles de mes parents, de leurs amis, les deuils sont ceux de leurs camarades, de leurs frères d’arme. On retrouve tout, les cuites du régisseur, les scandales de l’accordéoniste, les violences et l’orgueil de l’un, les angoisses matérielles et les contradictions de l’autre. Même le spectacle sera très proche d’un
spectacle que leur compagnie a longtemps tourné : « Cabaret Tchekhov ». Et pourtant tout est absolument vrai puisqu’imaginé d’un bout à l’autre.
On fait toujours plus ou moins comme ça, rien de nouveau sous le soleil. Mais y’a pas à dire, cette matière est pour moi plus singulière à manier qu’aucune autre. Faire le récit apocryphe de ce qu’ont vécu mes proches. Malmener leurs histoires pour inventer et réjouir. Créer des êtres hybrides – un morceau de l’un et un bout de l’autre – parfois imaginés de toutes pièces mais dans lesquels tous se reconnaîtront. Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin. Tourner avec leur chapiteau, leurs oies, leurs
enfants et leurs femmes. Amener d’autres comédiens dans ce caravansérail, réinventer ainsi à certains une nouvelle jeunesse mais faire jouer à d’autres leur propre rôle, leur propre double.
Enregistrer leurs répliques, leurs engueulades comme matière même de nos dialogues. Leur raconter nos histoires et intégrer ce qui les fait réagir, comprendre avec eux ce qui se trame sous ces personnages monstrueux. Dire à ceux qui ont perdu leurs enfants qu’on décide à leur place qu’il leur faut à nouveau vivre.
Quand je lui raconte, ma sœur a déjà peur. « Avec tout ce que tu nous fais dire, on n’aura plus jamais une date ! ». L’ambiguïté est totale. Tant pis pour le confort, on se préservera une autre fois. La friction entre le réel et l’imaginaire sera notre moteur.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, l’idée n’est pas une seconde de faire un documentaire, ni même de s’en approcher. Il faudra être impur, mélanger leur réalité à la fiction la plus totale. Convoquer les fantômes et les délires. Ne pas avoir peur des hommes saouls, des femmes légères, des scènes de cul et du vulgaire. Brasser les imageries diverses dans un joyeux bordel : cirque, théâtre, cinéma à l’estomac et film d’amour. Etre avec ceux qui éructent et qui s’ouvrent les veines, mais aussi avec les enfants qui courent sous les gradins, les loupiottes dans la nuit, la machine à fumée et les chiens qu’on déguise.
C’est baroque mais cela doit rester punk, déjanté dans l’image, violent avec les chairs. Fellini chez la Mano Negra, Flaherty chez Fritz the cat.
Faire un film comme on organise une fête sur des gens qui font du théâtre comme on invite à bouffer.

Écrire et inventer un récit de vie dans sa complexité_

Article de Marina Roche-Lecca

Afin d’écrire Les Ogres, Léa Fehner s’est penchée sur des récits de vie qui suscitaient des souvenirs personnels, elle a ensuite pu comprendre comment en faire un nouveau récit, comment parler de choses qui ne lui étaient plus quotidiennes, comment les absorber dans de nouvelles complexités. Les questions de l’excès et du mélange se sont imposées.

Pour ces géants que sont les Ogres, la vie, c’est l’aventure que l’on offre plus que la reconnaissance par le théâtre. C’est aussi une manière de ne jamais se préserver. C’est à la fois dément et fragile. C’est ce que voulait raconter Léa Fehner. Et c’est assez curieux qu’une réalisatrice nous raconte tout ce qu’il ne faut pas faire en même temps qu’elle nous montre le bonheur que c’est de mélanger l’amour, la famille, le travail comme tous les comédiens de cette troupe. L’amour, c’est ici l’amour de tout bien évidemment : les enfants, les rencontres, les hommes et les femmes. Toutes les relations impossibles mais vivantes réveillent nos sens et la pensée.

En tant que femmes et avec une conscience sociale qui tend à vouloir désamorcer le tragique de la vie quotidienne, Catherine Paille – co-scénariste – et Léa Fehner proposent une collaboration enthousiaste. Ensemble, elles ont imaginé des histoires où les incompréhensions de leurs vies de tous les jours permettent de déplacer des idées et favorisent une forme de catharsis. En ce sens, Les Ogres c’est à la fois Festen, celui qui dit tout, qui est indécent, violent mais qui appelle à l’aide. C’est aussi Milou en mai ou comment rêver avec ces contraires que présentent des événements à la fois très cruels et très doux.

L’écriture du film ne réside pas uniquement dans l’écriture d’un scénario. Elle est également portée par le corps du comédien qui peut être plus important que le costume qu’il endosse. Et c’est ainsi que Léa Fehner s’est lancée dans de longues improvisations impulsant une circulation de la parole et des excès qui ont parfois modifié le scénario. Par exemple, la fin du film a été bouleversée sur le plateau de la Grainerie à Toulouse un soir d’orage lors d’une improvisation d’Inès Fehner. Et Adèle Haenel pouvait passer du statut de figurant à celui de premier rôle. Il a fallu de l’égalité et du temps, du temps collectif.


Afin de créer le spectacle qui serait dans le film, il était nécessaire d’avoir des répétitions avec tous les comédiens, or ce n’est pas trop dans les us et coutumes du cinéma. Pas que pour l’argent et les règles, mais aussi parce qu’on se risque à épuiser l’équipe. Les répétitions ont eu lieu à Toulouse et à Port-la-Nouvelle avant le tournage. Cette troupe composite a travaillé le chant et la danse en faisant très vite tomber les barrières pour découvrir les talents de chacun. Les gens de théâtre maîtrisaient des choses, et notamment lors de la parade où ils n’avaient aucun souci à partir dans les rues sans rien avoir à vendre à des gens qui passaient. Ceux du cinéma ont pu se nourrir de ces excès dans la rue jusqu’à bloquer une station service et ensemble, sous la direction de Léa Fehner, ils ont parfois repris ces improvisations lors du tournage. Par ailleurs, face à la caméra qui affolait les gens du théâtre, ceux du cinéma se sont révélés très rassurants, et l’équipe ne faisait qu’une. La solidarité et l’énergie au sein de ce groupe hétérogène pendant les répétitions se sont montrées très fructueuses lors du tournage. La générosité des comédiens a empêché la pudeur liée à des récits parfois biographiques. Loin du psycho-drame, ces sessions d’improvisation ont imposé à Léa l’évidence de faire jouer sa propre famille. Un choix aussi inconfortable que bouleversant. La densité des situations a aussi permis de dépasser les histoires familiales au sein de cette troupe. Quand le père de Léa Fehner, Cataix, sa sœur et sa mère acceptent de jouer leurs propres rôles, les autres membres de la compagnie se mettent dans une position par rapport au film qui est très forte, très collective. Le casting a été primordial.
Habituellement, sur un tournage le plan de travail est très serré. Pendant la phase de préparation, on sait que le collectif est possible mais sur un tournage, on ne fait venir les comédiens que lorsqu’on a besoin d’eux par exemple. Or pendant huit semaines, tous les comédiens étaient réunis, qu’ils aient une scène à jouer ou non. C’est un choix de production très fort.

Écrire, fabriquer Les Ogres s’est révélé être une aventure artistique et humaine très enrichissante. Au-delà des plaisirs d’écrire et de tourner, Les Ogres a permis de douter, d’inventer collectivement en mélangeant des pratiques professionnelles du théâtre et du cinéma qui apportent au film autant qu’à l’équipe la joie de proposer un récit de vie dans sa complexité.

Léa Fehner a retranscrit sa note d’intention sur sa voiture

Réactions à la première lecture du scénario _

Entretiens avec Marion Bouvarel et François Fehner réalisé par Manuel Marin et les étudiant.e.s du Master Esthétique du cinéma / Université Toulouse Jean-Jaurès 2.

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Les réactions
© Cécille Mella

Des improvisations pour relancer un processus d’écriture

Début et fin du journal d’écriture de Léa Fehner _

De l’idée des improvisations pour travailler le scénario aux essais avec les comédiens de l’Agit

JANVIER

Je dissocie. Peut-être qu’il faut que j’aie un lieu pour les réflexions spécifiquement liées à mon travail. Un journal d’écriture. Quelque chose qui parle moins de moi, de nous, mais plutôt des idées d’écriture, des « et si », des élucubrations qui vont m’être nécessaires – je pense – pour me remettre à écrire et surtout pour remettre le désir sur la table.

L’envie de faire ça en famille s’affine. Une aventure à la Cassavetes, avec tout ce que cela peut avoir de marginal, de difficile à financer mais aussi de chaleureux, de fou, d’intègre, de cohérent et de puissant. Psychodrame et chair en pâture, vies qui se mélangent, s’offrent, se transforment. Embarquer ma famille, mélanger les genres, et donc aussi peut être faire improviser une partie des gens pour aller vers les scènes, les dialogues. (…) Faire un film avec la famille pour y trouver la compréhension et surtout l’amour. Pour éviter de paraître autre que celle qu’on est, pour éviter de feindre. Pour aller chercher une vérité qui retourne, pour faire appel aux ogres et à leurs grottes de souvenirs, de vies et de violences.

Maintenant il faut se remettre au travail. Essayer de dépatouiller le fil des différentes versions pour savoir par quel bout prendre ce travail. Relire le scénario ? Relire le traitement ? Ecrire comme pour une pièce de théâtre ? Fouiller ce que serait leur spectacle ? Attaquer l’ensemble en le mettant à mal, en repartant aux fondements, ou prendre par petits bouts, dans un travail plus besogneux, sur les endroits qui ne fonctionnaient pas ? Aller chercher plus loin le désir de ce film ou déjà essayer de se plonger dans les scènes et dans le programme de récit que l’on s’était donné avec Catherine avant les vacances ?

(…)

 

Etre dans la différence avec ce qui existe. Se l’autoriser. Penser aux familles branques présentées dans les films de Julie Delpy et de Donzelli, aux parents pas sortables, aux gens qu’on aime avec leur excès, aux engueulades sans fin dans les fratries. Etre dans la différence avec ce qui existe parce qu’on est heureux et que le bonheur ou le respect ne font (…)

Trois jours avec mon père. Ça le gonfle parce que je le fais regarder en arrière et qu’il déteste ça. Ça le gonfle parce que je veux travailler avec lui, maman et Inès à improviser autour des dialogues alors que lui essaie absolument d’éviter la famille, le fonctionnement familial (…) mais fait preuve à d’autres endroits de beaucoup d’envie, de bonne volonté.

(…)

Discussion avec Julien vendredi dernier. Quelque chose de stimulant, qui donne envie. Je lui raconte ce qui a changé. Mes souvenirs sont flous mais ça devient dynamique et puis ça parle d’amour, de mort, de vie. Pourquoi vouloir alors raconter quelque chose d’autre ? On parle de gens qui se débattent, de comment, un peu plus chaque jour, on continue…

La nuit, me vient l’idée d’organiser un atelier d’écriture et d’improvisation avec la famille autour de mon film. Quelque chose sur une ou deux semaines. Où l’on filme, on garde trace et on improvise sur les différents sujets du film. Quelque chose d’organisé et que l’on peut aussi essayer de financer.

(…)

Penser à Festen pour les histoires de famille. A la violence des mots entre les membres de la famille, à la drôlerie aussi qui suinte, qui raconte une fratrie singulière. Des hommes et des femmes qui sont capables de se dire les pires horreurs et en même temps de se pincer les joues et de jouer à saute-mouton en costard.

« L’enfance est un couteau planté en travers de la gorge, il ne sera pas facile de le retirer ma petite Jeanne »

Comment notre enfance nous façonne, nous sculpte ? De ce qu’on aimerait abandonner, de ce qu’on aimerait ne pas être, de ce qu’on a réussi à ne pas être…

(…)

TORDRE TOUS LES ENDROITS DU SCÉNARIO : repasser dessus et voir à chaque fois si cela ne peut pas être plus fou, plus drôle. Comment les gens peuvent réagir avec plus d’excès, de folie et de puissance.

(…)

Hier, j’ai fait de l’ordre, j’ai vu ce qu’il y avait à faire, j’ai regardé Faces. Reste un, plusieurs gros chantiers et je ne sais pas encore bien par quel bout prendre tout ça. Faire errer mon esprit, le laisser dériver pour voir sur quelle pépite va-t-il tomber ou s’arrimer à une scène, à un moment pour la tordre, la percer à jour, la défricher.

J’ai aujourd’hui du mal à être rigoureuse, ordonnée. Peut être le fait d’avoir vu les films de Cassavetes. J’ai peur d’approcher tout ceci trop froidement, comme une bonne élève. Et pourtant, il n’y a que ça dans l’écriture : écrire. Le reste c’est des excuses.

(…)

 

AVRIL

 

(…)

Mais peut être qu’il ne faut pas parler en images et au contraire être simple, et au contraire être concret, raconter, même par bribes, mêmes par notes, ces quelques jours. Les découvertes du lundi, les dons de mon père, sa douceur, son aide, sa générosité. Il est à l’intérieur des scènes, transparent, offert, simple. D’une douceur folle. Les ogres. Ceux qui veulent tout, étouffés de leurs désirs qui s’affrontent, surpris soudain que tant de générosité vorace ne soit pas récompensée. Les ogres. Les vieux amants. Le grand amour entre mes parents qui déborde, fragilise. Le bulldozer qu’est ma sœur. (…) Fragilité. Partout ? Pierre, Inès. Moi surtout. Je suis assaillie. Et pourtant elle n’est pas là où je la pressentais, où je la presse, elle n’est pas dans ce que vivent mes parents. Ou alors différent. Moins friable. Plus solide. Fragilité des êtres, solidité des cœurs. Les rires de mardi. L’excitation folle. Assouvie de cris, de folies, de beauté. Titi fou. Dangereux. Magnifique. Saute sur les voitures, agressif, flamboyant. Caché sous son grimage. Hurlant. A la vie. A la mort. Les petits roms. Le soleil qui tape. Les tracts blancs, parader sur les routes commerciales pour ne rien vendre d’autre que leur poésie, leur offrande de vie, de danse, de chant, d’invention. Un homme prend ma mère dans les bras. Un petit rom avec une perruque de belle au bois dormant prend le mégaphone de mon père et hurle à l’amour. Mon père saisit au débotté. Impeccable. Enthousiaste. Insatiable. Infatigable.

Des traces. Des empreintes. Et puis ce qui ne sera pas saisi par la caméra. Les discussions dans la voiture. Jouer, déjà avec le feu. Et c’est trop tôt.(…) Et mon père qui pense, qui analyse, qui attaque, qui exige. Qui sans cesse se questionne, m’attaque, me demande de la rigueur et en même temps se plaît. S’y plait. S’amuse ? Je suis à sec. Tremblante. Ne sachant plus ce que je veux. Je ne veux pas faire de mal et leur demande sans cesse de s’engueuler, de se déchirer. De revenir à des états qu’ils préfèrent quitter. Vraiment ? Pas de limite. Est-ce que j’ai les épaules assez solides pour ça. Je m’accroche à mon planning comme à une bouée, à mon écriture, à ma « fiction », comme à un radeau. Je mens ? Je me mens ?  Faire de la vie un grand jeu, quelle prétention ! Vouloir être douce et ne créer que des situations de manipulation. De même pas cacher cette manipulation et leur enlever ce dernier rempart : ne pas être au courant, se laisser guider, ne pas savoir. Avoir avec mes parents les discussions que je devrais avoir avec des tiers, et tout mélanger, encore plus. Une transparence absurde, confuse, qui rajoute encore et encore des couches d’obscurité : comment est-ce possible ? Apprenti sorcière. Pompier pyromane.

Mon père. Peur d’arrêter son histoire. De le limiter. De jouer aussi avec mon film et de transformer leur vie, ce qu’ils vivent. Est-ce qu’ils en ont envie ? Est-ce que c’est juste ? Qui y gagne ? Le cinéma ? Ils sont à la hauteur, sur un plateau en tout cas. Mais moi le suis-je ? Pendant ces quelques jours non. Absence totale de recul. Difficulté à me libérer, à respirer, à inventer. Difficulté à m’amuser. Un plaisir de créateur pur qui n’est pas là. Le retrouver avec de la poésie ? Avec la caresse de la caméra ? Avec des acteurs étrangers qui se mélangent à ceux ici présents ? Avec des tiers avec moi, grossissant la caravane de ceux qui regardent…

La discussion avec mon père mardi soir, tous les deux, dans la nuit douce. Faire entrer l’extérieur. Ne pas laisser les petits blancs ergoter tout seuls. Comment cette histoire peut aussi être d’aujourd’hui ? Comment cette intimité peut concerner tout le monde ?

Lire les expériences de ceux, cinéastes ou autres, qui ont eu aussi jouer avec le feu. (livre dont on parle dans celui de Delphine de Vigan, Bergman, Cassavetes, Desplechin… ou d’autres encore).

Eve une alliée précieuse. Son regard. Sa compréhension de la situation. Sa douceur. Peur aussi parfois qu’elle ne sorte. Peur de sa puissance. Peur parce que beaucoup de choses lui sont livrées. Peur parce qu’on se met tous à nu, que l’on est loin d’être irréprochables et que l’on est vulnérables. Entreprise fragile, périlleuse, origami d’entrelacs, pelote impossible à démêler. Mais je veux croire que, même si cela a été difficile pendant ces quelques jours, même si je ne suis pas arrivée pour l’instant à prendre du recul, c’est possible que cette entreprise soit joyeuse. Que l’on raconte. Que l’on amène vers l’imaginaire et la joie. Que la puissance de feu ne soit pas seulement celles des tripes remuées et exposées mais aussi celle de la danse, du rire, des vies en pâture qui donnent de la force à vivre. Qui sait ? J’ai besoin d’alliées, de ceux qui comprennent. Peut-être ma dame fiction, Catherine, me manque. Peut-être que la fiction peut nous aider, nous faire souffler, nous grandir. Peut être qu’il faut aussi, comme me le proposait hier mon père, que je les ouvre à la possibilité d’inventer cette fiction, que, lors des exercices, je ne reste plus attachée au texte de manière si irrévocable. Que je leur donne la parole. Que j’ouvre les improvisations à d’autres choses que ce qu’il y a dans le texte. Deux visées : le film et le moment. Les rendre tous deux incroyables, puissants, heureux. But intenable mais il me faut de la force, de la force, de la force et de la ruse pour les atteindre. Du recul. De la pensée. Et derrière la force, toujours, de la légèreté ? Savoir que tout ceci n’est pas grave. Que tout ceci n’est pas si chargé, n’est pas si difficile. Que j’ai de la chance. Et que nous pouvons en rire. Peut être est-ce seulement ainsi que je pourrais construire mon armure et l’aventure pour tous, en trouvant à me détacher et à y prendre du plaisir.

En ne prenant pas tout cela tant au sérieux. Et ouvrir la porte au poète ?

Méthode d’écriture des dialogues _

Entretien

Entretien réalisé par Manuel Marin et les étudiant.e.s du Master
Esthétique du cinéma / Université Toulouse Jean-Jaurès 2

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Methode d'écritude

Le processus
d’écriture _

Entretien avec Léa Fehner par Claire Vassé

COMMENT S’EST PASSÉ LE PROCESSUS D’ÉCRITURE DU FILM ?

J’ai commencé par récolter beaucoup d’histoires sur la troupe de mes parents et sur d’autres troupes de théâtre itinérant. J’ai fait appel à mes souvenirs bien sûr mais sans avoir peur de comment le temps les avait modifiés. À partir de cette matière brute, avec ma co-scénariste Catherine Paillé, nous avons commencé à fictionnaliser les évènements, à tirer les situations pour en faire une histoire de cinéma. Il fallait que cette histoire soit épique tout en restant quotidienne, accrochée aux basques des personnages qui grandissaient sous nos doigts. Très vite nous nous sommes éloignées de la chronique, du portrait d’un milieu. Nous voulions au contraire que le romanesque de ces choix de vie apporte son souffle au film. Mais le traitement du groupe nous confrontait à des questions de tonalité. Deux films nous ont à ce moment là beaucoup aidées : Festen et Milou en mai. Ce sont des films de groupe mais très différents et nous recherchions justement à être à mi-chemin entre ces deux pôles, à allier la cruauté des sentiments à la tendresse du regard.

On s’est beaucoup amusées à tordre les histoires, à les défigurer, les réinventer. Le désir n’a jamais été d’être fidèle à la réalité mais plutôt d’atteindre une truculence et une vérité, que le film puisse avoir autant à voir avec Asghar Farhadi qu’avec Astérix ! En France on oppose souvent baroque et justesse. Je voulais au contraire montrer comment les deux peuvent se mêler et trouver la sincérité de ceux qui jouent un jeu, la douceur de ceux qui hurlent tout le temps, l’amour de ceux qui se déchirent.

COMMENT ÉCRIT-ON POUR AUTANT DE PERSONNAGES QUI DOIVENT COEXISTER DANS LE MÊME PLAN ?

C’était le défi. Faire coexister le collectif et l’individu. Le sujet est au centre du film et j’avais envie que la forme finale soit à l’unisson de cette thématique. Nous avons alors essayé de concevoir des scènes qui soient des mille-feuilles d’action, où le premier plan tisse une ligne dramatique alors qu’au second une histoire est en train de débuter et qu’au dernier chacun vient mettre son grain de sel dans les deux autres. Et tout cela la plupart du temps dans le mouvement, le rush, la crise ou la danse.

Mais à la fin de la première écriture, nous ressentions pourtant un manque, une difficulté encore à trouver cet humain concert. Grâce à une subvention de la région Midi-Pyrénées, j’ai alors décidé de faire improviser une dizaine de comédiens de la troupe de mes parents à partir du traitement déjà écrit. Ces séances d’improvisations, que j’ai filmées, se sont révélées être très drôles, généreuses, dingues. Elles nous ont beaucoup aidées à trouver cette volubilité et comment, sous ce magma de mots, des phrases tabous et minuscules n’arrivent pas être dites : j’ai peur, je ne veux pas vieillir, je t’aime… Il y a comme une forme de pudeur derrière cette profusion.

Improviser avec les comédiennes et comédiens de l’Agit théâtre

Entretien _

avec Léa Fehner et Marion bouvarel

Entretien réalisé par Manuel Marin et les étudiant.e.s du Master
Esthétique du cinéma / Université Toulouse Jean-Jaurès 2

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Improvisation _

Inès Fehner et Marion Bouvarel improvisent un dialogue mère-fille

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Le départ d'Inès _

Improvisation de Christelle, François & Hibro

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entretien avec Léa Fehner

Entretien réalisé par Manuel Marin et les étudiant.e.s du Master
Esthétique du cinéma / Université Toulouse Jean-Jaurès 2

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Léa Fehner

Travaux d'étudiants

Master esthétique du cinéma / Université Toulouse 2 (2020 - 2021)

Les Ogres
(étude du scénario) _

Par Erwan Caurier & Nicolas Noel