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& Dramaturges Polissons

Le jeu

Si l’écriture s’est fondée pour partie sur des improvisations, au tournage l’essentiel des scènes ont été jouées au mot près. Sauf pour les moments collectifs où libre cours a été donné aux comédiennes et comédiens dans la continuité des actions. Le mot maître était « coupez ». Tant qu’il n’était pas prononcé, l’action se poursuivait. Pour mettre toutes les comédiennes et tous les comédiens ensemble, venus du théâtre itinérant ou du cinéma, ils et elles ont participé à l’intégralité du tournage, comme une troupe, une compagnie. Au centre était le jeu, la technique cinématographique s’est adaptée à danser autour comme d’un feu. Dans cette danse du film, des enfants sont entrés et un peignoir et des amitiés ont suffi à protéger les intimités.

Reviews

Le choix des comédiennes & comédiens

Entretien avec Léa Fehner _

par Claire Vassé

VOUS SAVIEZ D’EMBLÉE QUE VOS PARENTS ET VOTRE SŒUR JOUERAIENT DANS LE FILM ?

Non, c’est vraiment l’aboutissement d’un processus, lié à ces improvisations, pendant lesquelles le noyau familial s’est livré avec une intensité qui m’a questionnée. Ils étaient généreux sans être impudiques. Fiévreux sans tomber dans le psychodrame. Petit à petit, il m’est apparu comme une évidence qu’il fallait que j’accepte de jouer avec le feu. C’était la chose la plus cohérente à faire, et en même temps complètement folle.

 

POURQUOI FOLLE ?

Car c’était mettre en danger des relations qui sont vivantes et fragiles. C’était mettre mon père dans la position d’être dirigé par sa fille. C’était s’amuser à écrire à partir d’une histoire qui est encore en train de s’écrire. C’était prendre le risque tout d’un coup que quelque chose d’intime m’empêche de me sentir le droit d’aller trop loin. Mais je crois que j’avais besoin de cet inconfort de la réalité qui se mélange à la fiction pour ce film-là. Sur le tournage, j’ai été troublée par leur abandon. Et troublée par leur capacité à se trahir, à se réinventer un personnage. De toutes façons, est-ce si compliqué que ça de filmer ses proches ? Le plus fragile et le plus difficile, c’est d’aimer ses acteurs et que cet amour ressurgisse dans le film. Là d’une certaine manière, on peut dire qu’une grande partie du travail était déjà faite…

VOTRE FILS JOUE AUSSI DANS LE FILM ?

Oui. C’est la petite histoire sous le tapis de ce que raconte le film, mais oui. Mon fils, les enfants de ma sœur ont joué dans le film. Et le père de mes enfants, Julien Chigot, a monté le film. À l’image de ce que raconte le film, je crois que j’avais moi aussi besoin d’expérimenter ce mélange entre vie et travail. Je n’ai pas cherché à me préserver mais cela dans le seul et unique but de voir cette friction entre la réalité et la fiction nourrir le film. Profondément. Ce n’est pas une mince affaire de faire un métier de passion comme le nôtre, aussi dévorant, quand on a des enfants. Alors comment on s’en sort ? Pour ma part, peut-être effectivement en embarquant ma famille dans l’histoire. En choisissant de faire un cinéma de tribu, avec la famille mais aussi avec les gens qu’on aime et qui viennent se rajouter à votre « troupe ». C’est un pari fou de tout mélanger pour ne rien sacrifier. Mais c’est aussi un immense plaisir. Et j’espère que cela rejaillit sur l’énergie du film.

ET LE RESTE DU CASTING ?

On a cherché partout, dans la compagnie de mes parents, dans le cinéma, dans le cirque, dans notre vie quotidienne, dans d’autres compagnies… On a fait le casting comme on constitue une troupe, avec des gens qui sont historiquement là, des gens qu’on rencontre sur le bord du chemin, des gens dont on tombe amoureux. J’ai choisi des gens qui ne collaient pas forcément aux rôles écrits au scénario mais dont je me suis dit que la puissance de la personnalité allait inonder l’histoire et l’aventure du film.

Et puis le scénario était très écrit, précis, dialogué – on a un plaisir des mots avec Catherine et Brigitte Sy (l’autre co-scénariste du film). J’ai donc aussi cherché des acteurs capables de mettre un coup de pied là-dedans, d’amener leur fantaisie et d’inventer à côté de ce scénario pour qu’il y ait une lutte sur le plateau.

ET ADÈLE HAENEL ?

J’ai lu quelque part qu’on la comparait à Depardieu. C’est étrange parce que je suis retombée il n’y a pas longtemps sur une lettre de Depardieu à Dewaere qui venait de se suicider. Depardieu dit en gros qu’il s’en fout. Qu’il ne veut pas rentrer là dedans. Et il finit par dire : « Je suis une bête, ça m’est égal, la mort connais pas. Je suis la vie, la vie jusque dans sa monstruosité ».

Adèle est capable de jouer ça, c’est vrai. Elle est capable d’être monstrueuse et en même temps de véhiculer un amour fou. Regardez comment elle arrive à nous fait rire alors que son homme vient de parler de la mort de son fils. C’est crasse, c’est insolent. Et bizarrement, grâce à elle, c’est lumineux. C’est un soleil cette comédienne. Avec autant de lumière que de puissance et de danger potentiel. D’ailleurs, on pourrait penser que le terme « les Ogres » désigne les hommes dans mon film. Mais c’est complètement faux. Les femmes sont aussi des ogresses en pleine puissance, capables de coucher avec le premier venu enceinte jusqu’au cou, de se lancer dans une course de voiture ou de se vendre aux enchères. Elles ne sont pas en reste… alors il fallait la puissance de comédiennes comme Adèle mais aussi comme Lola Dueñas, Marion Bouvarel, Inès Fehner, pour porter ces personnages de femmes.

Il faut aussi dire que chez Adèle, le désir de collectif est très puissant. Elle fait du théâtre et aime plus que tout se mettre au service d’une œuvre. Là où j’ai eu beaucoup de chances, c’est qu’Adèle, Lola et Marc Barbé sont des saltimbanques dans leur manière d’être au cinéma. Ils n’ont pas du tout été pollués par la question de la reconnaissance, de la notoriété. Sur le plateau, ils se sont complètement fondus dans la troupe. Leur engagement était physique, entier, total, sans garde-fou… à l’image de ce que j’ai pu voir dans le théâtre itinérant.

© Hélène Morsly

Le choix de la famille _

Entretien avec Léa Fehner & Marion Bouvarel

Entretien réalisé par Manuel Marin et les étudiant.e.s du Master
Esthétique du cinéma / Université Toulouse Jean-Jaurès 2

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Le choix

Adèle Haenel, actrice solaire _

Entretien avec Léa Fehner

Entretien réalisé par Manuel Marin et les étudiant.e.s du Master
Esthétique du cinéma / Université Toulouse Jean-Jaurès 2

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Casting _

Adèle Haenel & Marc Barbé

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Le jeu en tournage

© Hélène Morsly

Reviews

Du théâtre au cinéma
& de l’Agit aux Ogres _

Entretien avec Inès Fehner, Marion Bouvarel et François Fehner réalisé par Marina Roche-Lecca pendant le tournage

Entretien réalisé le mardi 23 septembre 2014 sur le tournage à Port-la-Nouvelle.
FF = François Fehner / MB = Marion Bouvarel / IF = Inès Fehner

– A quel moment avez-vous pris connaissance de ce projet, saviez-vous que Léa voulait convoquer des souvenirs de façon assez précise dans son prochain film ?
FF: Cela s’est fait progressivement sur trois ou quatre ans, Léa avait d’autres projets en cours. Pour les 20 ans de l’Agit, Inès et Léa avaient préparé une grande fête, et je pense que c’était déjà dans sa tête. Elle ne savait certainement pas encore ce qu’elle ferait. Pour cette fête, on avait fait appel à tous ceux qui avaient travaillé avec l’Agit et sur Cabaret Tchekhov. Tout le monde est revenu jouer des choses alors qu’il y avait eu des ruptures dans l’Agit. Marion n’y croyait pas mais tout le monde est venu. C’est là que Léa a retrouvé Cataix et tous ceux de Cabaret Tchekhov. Après elle a écrit, réécrit.

IF : Au début on a eu un traitement d’une vingtaine de pages puis des scènes dialoguées. Elle nous consultait de façon pratique pour les souvenirs. Elle s’est interrogée sur de nombreuses anecdotes dont elle s’est nourrie et qu’elle a parfois complètement réécrites… Au départ, quand elle en parlait on se demandait qui ça intéresserait, c’est la vie d’une compagnie… l’art qui parle de l’art… et finalement ici, elle propose des récits d’une aventure humaine très forte, c’est juste que ces personnages sont rattachés à une activité artistique. Ce n’est pas un film sur l’Agit. Dans nos rapports humains, c’est sûr qu’on est très attachés mais en vérité, on est beaucoup plus sérieux, d’un point de vue artistique ou administratif ! Les DUE sont faites à temps ! Dans la vie, François est beaucoup plus sérieux et ne s’occupe plus de la technique.

– Comment avez-vous lu ce projet ? Une surprise, une joie, une peur… ? Avez-vous beaucoup échangé avec Léa avant d’accepter de jouer vos propres rôles ou était-ce une évidence ?
IF : On a tous eu des réactions différentes et affectives. On a participé à l’écriture par le biais de séances d’improvisation. Léa a proposé des situations qui ont bien fonctionné. Au moment de ces séances, il n’était pas encore question qu’on joue.
FF : En improvisation, on les a séduits et Léa s’est aussi rendue compte qu’elle était capable de le faire.
MB : Au début, on ne voulait pas participer à la réussite ou à l’échec de son film.
IF : A 17 ans, Léa a pris son envol d’un point de vue artistique. Elle est partie de la maison, elle a fait sa vie empreinte de tout ce qu’elle avait traversé. Les Ogres, on ne s’y attendait pas, ça met une pression.

– Du théâtre au cinéma vous jouez la vie, comment cela s’est-il passé avec Les Ogres ?
FF : La rencontre entre les comédiens de théâtre et de cinéma a été une superbe expérience. Ce choix : mélanger le théâtre et le cinéma me semblait bizarre et en fait, aujourd’hui, je trouve que c’est une très bonne idée. Le fond documentaire de cette histoire me semblait plus juste à être joué par les protagonistes réels. On a l’impression qu’elle prend un risque avec nous même si peu à peu on se sent légitimes.
MB : On la sent bien, elle est légère.
IF : Et puis elle a une manière d’être avec nous qui est simple, ni trop, ni pas assez. Elle nous envoie sur des pistes, elle n’est pas perverse, elle ne nous manipule pas, elle se sert de ce qu’elle connaît.
FF : Ce sont nos personnages mais ce n’est pas nous. Ce n’est pas parce qu’on a l’impression de se connaître qu’on est capable de se jouer. J’ai l’impression qu’elle me fait aller dans des directions qui ne sont pas forcément les miennes, notamment par rapport à l’autoritarisme.
– Pour chacun d’entre vous, quels sont vos expériences de cinéma ?
FF : J’ai fait des petites fictions, j’ai eu des rôles importants dans des courts métrages, j’ai une expérience de tournage, mais jamais dans la durée. C’est la première fois que j’ai cette chance. C’est prenant, on ne pense qu’à ça même si on va nager. C’est très intéressant mais je suis étonné qu’on soit à ce point pris. On est dans une bulle pendant deux mois. Il faut sortir de ses responsabilités quotidiennes pour assurer, pour n’être qu’à ça !
MB : Je n’ai jamais autant bouquiné de ma vie !
IF : Je n’ai fait que des fictions pour Léa quand elle était à la Fémis comme L’œil crevé, qui a été tourné dans la forêt vosgienne. C’étaient des jolis projets avec Julien, le monteur et mari de Léa. Je n’ai pas la même part que François et Marion, mais je suis très heureuse là. Je suis mieux en retrait que devant. Les scènes d’engueulades ont été géniales à jouer, mais après j’ai eu un contre-coup. C’est compliqué de se mettre en question dans le regard des autres. Ça ajoute des doutes. J’aime être là pour accompagner mais ne pas avoir un rôle central, c’est important pour avoir le temps de s’amuser. J’ai aussi travaillé avec Léa sur le casting à Toulouse et c’était très intéressant. On a beaucoup discuté. Sur les rôles d’enfants aussi.
MB: J’aime être dirigée par Léa, j’aime bien le cinéma pour ce découpage de la réalité en profondeur dans le temps.
IF : Les choses sont tournées vite, après une scène, une autre. On se remet moins en question qu’au théâtre. Souvent, au théâtre, j’ai l’impression de dire « je n’y arriverai pas ». Au cinéma, on réfléchit moins à comment y arriver. Au théâtre on parle beaucoup des personnages, de dramaturgie.
FF: Je ne suis pas trop d’accord. Au cinéma on entre et on sort d’un coup, et pour y arriver, il faut beaucoup y réfléchir, il faut être prêt. Par contre, au théâtre on réfléchit avec les autres, le cinéma c’est plus individualiste. Léa a été obligée de convoquer les comédiens pour fabriquer ce spectacle et du coup on a pu se rencontrer avant de démarrer. C’était génial !
MB : C’était une sacrée chance !
FF : Oui, ce côté de la création collective propre au théâtre on y a eu droit !
IF : On faisait des échauffements corporels, de voix, on a chanté, on a dansé, on s’est rencontrés. Cette troupe, on pensait qu’elle n’allait pas exister et en fait, elle existe !
FF : Les gens de cinéma sont très ouverts à ça.
IF : Adèle est tellement clown et amusante qu’elle y a trouvé sa place très facilement.
MB : C’était joyeux ! Et ils sont tous superbes ici !
IF : L’équipe technique est vraiment géniale. Au cinéma, il y a plus de techniciens que de comédiens et ils sont très discrets, ils bossent énormément, ils sont là avant nous et ils restent après nous.

– Avez-vous eu l’impression de souffler sur la poussière pour reprendre Cabaret Tchekhov ?
FF : On a un peu soufflé sur la poussière de certains accessoires de l’Agit qui se retrouvent au cinéma. Même les gradins. Cabaret Tchekhov, on l’a joué soixante-dix fois, c’était une jolie période de la vie de la compagnie, c’était un gros succès public. Inès et Léa avaient 13 et 14 ans.
IF: Léa avait vu le chapiteau de l’Agit dans le Limousin dans un festival. Pour le film, elle l’a recherché. Elle voulait un quatre mâts, bicolore, sans corniche, sans rayures grossières. Le directeur de production a réussi à le retrouver.
FF : C’est assez magique que ce soit ce chapiteau.
MB : On était très émus de le retrouver mais après, ça aurait pu être un autre chapiteau aussi !

– Est-ce que Les Ogres fait partie de l’histoire de l’Agit ? Le théâtre forain et ces comédiens qui sont des ogres, est-ce que le film au stade où il en est vous aide à penser un bout de chemin ou est-ce une suite, est-ce que cela fait partie de la même aventure ou est-ce une parenthèse, un détour ?
FF : On ne sait pas. On est dans le présent. Ce film est une secousse. Au cinéma, tout est plus rapide qu’au théâtre. C’est presque choquant. Là on raisonne au jour le jour. Ce n’est pas très délicat. C’est un truc de pouvoir.

IF : Les gens sont prévenus trois jours avant d’être embauchés…
MB : Et ils acceptent !
IF : Au théâtre, on ne fonctionne pas comme ça.
FF: La mise en jeu est très différente au cinéma. On attend et d’un coup, on y va et c’est fini et on passe à autre chose.
IF : En ce moment, l’Agit est au calme puisqu’on est nombreux à être là. D’habitude on turbine beaucoup et tout le temps. Même en anticipant à un an, on n’a pas pu prévoir que le tournage puisse prendre autant de temps, il y a eu des décalages.
MB : La fidélité d’une troupe n’est pas celle du cinéma.
FF : Une compagnie de théâtre est vouée à être ensemble, à tourner et donc à vivre ensemble. Ici, il faut démêler : famille, tribu, théâtre et cinéma avec des logiques très différentes.

– Le regard d’un enfant sur ses parents dans une grande liberté, c’est pas mal réussi…
IF : On se dit les choses avant que les autres nous posent les questions. On a toujours pris la liberté de se répondre. Léa a fait son film sans nous le cacher. On se retrouve dedans, elle ne nous laisse pas le choix mais on se dit les choses très vite.
MB : On travaille beaucoup ensemble.
FF : Finalement ça sera peut-être qu’une parenthèse sur l’avenir de l’Agit. On ne sait pas. La première chose à laquelle j’ai pensé c’est qu’elle parlait de quelque chose qui est fini, enterré. Elle nous demandait de jouer nos personnages il y a 20 ans. Je ne peux pas imaginer que les spectateurs prennent la distance nécessaire et soient capables de se dire que ce n’est pas l’Agit d’aujourd’hui. C’est une histoire mais ça ne va pas être simple. Les traits des personnages nous ressemblent. Beaucoup de situations sont crédibles.

– Quelle séquence vous touche le plus ?
IF : Notre dernière confrontation avec François. Quand il me dit que c’est pas vrai qu’on aime les gens si on n’est pas capable de se traîner la merde qui va avec.
MB : Cette scène aussi me bouleverse. Léa nous connaît très bien.
IF : Les improvisations étaient moins violentes que la scène. A force de l’apprendre je me suis aperçue de ce qu’elle disait du père.
MB : Léa s’est aussi inspirée de Platonov qui est l’époque des « sans pères ».

Improvisations
au tournage _

Entretiens avec Léa & François Fehner, Marion Bouvarel

Entretiens réalisés par Manuel Marin et les étudiant.e.s du Master Esthétique du cinéma / Université Toulouse Jean-Jaurès 2

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Les choix de mise en scène _

Entretien de Léa Fehner avec Claire Vassé

COMMENT AVEZ-VOUS ABORDÉ LA MISE EN SCÈNE DE CE GROUPE ?

Deux choses ont été primordiales. D’abord la question de la production. Plus j’avance et plus je trouve que là où l’on met l’argent, c’est de la mise en scène, au même titre que d’autres choix artistiques. Avec Philippe Liégeois, mon producteur, on avait à cœur de trouver un prototype de tournage qui fasse le pont entre l’expérience du théâtre itinérant et celle du cinéma. C’est-à-dire de rendre la pratique cinématographique plus collective, moins hiérarchisée, que l’idée du groupe soit à l’œuvre dans le processus de fabrication du film. Nous avons donc choisi d’avoir un temps conséquent de répétitions et d’avoir tous les comédiens tout le temps sur le tournage. C’était un vrai défi de production mais pour mettre en scène ce groupe, il fallait avant tout le constituer.

La question des répétitions au cinéma pose pourtant toujours problème : on a peur de déflorer les choses, de perdre l’incandescence du moment et en même temps, on jalouse ce processus de répétitions qu’il y a au théâtre et qui permet une intimité entre les acteurs. J’hésite donc toujours entre ces deux pôles mais avec ce film, j’avais l’objet parfait car les scènes de spectacle justifiaient ces répétitions. Les comédiens se sont retrouvés pour répéter les chants, les danses, des éléments où l’unisson est nécessaire. Avec ces pratiques, les masques tombent, les gens se laissent aller, la dynamique du groupe s’installe. Dès le deuxième jour de tournage, on a fait la scène de la parade et c’était alors troublant de voir à quel point cette troupe lancée dans la ville avait déjà fait corps…

(voir scène non montée Parade)

 

ET LA DEUXIÈME CHOSE PRIMORDIALE DANS LA MISE EN SCÈNE ?

Quelque chose qui a à voir avec le mouvement… Il y a un petit vieux dans Les Ailes du désir qui parle longuement en allemand dans un terrain vague et soudain, en nous regardant, il dit en français « nous sommes embarqués ». Pour moi, c’est ça le cinéma, un bateau ivre sur lequel on embarque les spectateurs. Alors cela rejaillit dans la manière dont j’ai envie qu’on porte le regard. Pour Les Ogres, il fallait que ce soit une danse. Que la caméra se retrouve être la main qui guide le spectateur dans un pas de deux, une ronde ici en l’occurrence entre Julien Poupard, mon chef opérateur, et cette troupe qui ne s’arrête jamais. Pour permettre cela, on a construit un plateau à 360 degrés dans lequel on pouvait être très libre. Pour l’éclairer, on a utilisé ce qui était déjà présent naturellement dans le décor : les guirlandes d’ampoules et les projecteurs de théâtre, de manière à ce que les comédiens soient capables d’inventer sans être arrêtés pour des questions d’éclairage ou de machinerie. J’ai essayé de travailler selon un des mantras du théâtre itinérant : « pauvreté des moyens, pertinence de l’effet ! ». Parce qu’en même temps, même si l’éclairage préexistait, il était très décidé. Peut être parce que l’histoire me touchait de près, j’avais encore plus envie qu’on lui trouve un souffle lyrique, épique. Que les émotions soient plus grandes que nature, que la caméra embrasse comme les personnages dévorent.

L’OMNIPRÉSENCE DU COLLECTIF REND D’AUTANT PLUS FORTES LES QUELQUES SCÈNES VRAIMENT INTIMES…

Oui, on passe de la tonitruance à la douceur. Ces scènes très déroutantes à tourner – on était tellement toujours tous ensemble ! – racontent comment on est riche également de ce qui échappe au groupe. Par exemple, sans cesse durant le film, M. Déloyal (Marc Barbé) est dans le panache, l’insolence et la provocation pour éviter que sa plaie soit trop béante aux yeux des autres. Il a une manière très exhibitionniste d’être très pudique. Mais lors de cette nuit où il va voir Marie, son ancienne femme, il ressent tout d’un coup le besoin de lui parler en dehors du groupe pour exprimer ces mots très simples que le brouhaha couvre : « j’ai peur, je ne sais pas si je veux avoir un enfant. ». Cet éloignement est nécessaire.

Une direction d’actrices et d’acteurs situationniste _

Entretien avec Léa Fehner

Entretien réalisé par Manuel Marin et les étudiant.e.s du Master
Esthétique du cinéma / Université Toulouse Jean-Jaurès 2

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Parade des comédiennes et comédiens dans Port La Nouvelle _

Julien Chigot, monteur du film, nous a confié une scène non montée rendant compte de ces moments collectifs qui ont mis toute l’équipe ensemble au début du tournage

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L’absence du spectacle et la cohésion de la troupe _

Entretien avec Julien Chigot, monteur du film

Entretien réalisé par Manuel Marin et les étudiant.e.s du Master
Esthétique du cinéma / Université Toulouse Jean-Jaurès 2

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Des enfants, un peignoir et retour au théâtre

Des enfants _

Par Marina Roche-Lecca

Ils sont partout, à l’arrière des voitures, sous les gradins, dans les coulisses, derrière les caravanes, autour d’une petite table près de celle des grands. Ils parlent assez peu mais sont toujours là. Ils fabriquent leurs propres histoires à côté des adultes qui jouent au théâtre. Des restes du théâtre, ils savent quoi faire ! Les enfants récupèrent pour s’amuser, le maquillage, les costumes, une couronne fleurie, le poulet cru déguisé qu’ils offriront volontiers au chien, les sacs à main des spectateurs… Ils s’amusent de tout, s’occupent souvent seuls, grandissent les uns avec les autres, le grand prenant soin du petit ou non. Les adultes les voient, les corrigent parfois à petits coups de pieds dans les fesses, leur offrent une main pour apprendre à monter les marches. Ils suivent leurs parents, montent dans un camion pour un endroit inconnu et en repartent pour un autre au gré d’une programmation qui leur échappe autant que leur enfance qui virevolte. Ils sont aimés, comme tous dans cette troupe, mais pas plus ni moins qu’un autre. Ils jouent parfois au milieu des cadavres de bières comme si la réalisatrice nous invitait parfois à considérer nos excès et les conditionnements qui nous guettent.

Dans Les Ogres, on a parfois l’impression que les enfants jouent comme les grands vivent dans une troupe de théâtre itinérante, que tout est à la fois joyeux et confus. On peut se demander s’il s’agit de tout mélanger ou simplement si ce film, du point de vue des enfants, n’est pas la possibilité d’accepter le bazar de la vie, les naissances, les ruptures, les joies, les colères… tout le désordre d’une chambre d’enfant.

© Cécile Mella

Deux scènes et un peignoir _

Entretien avec Marion Bouvarel

Entretien réalisé par Manuel Marin et les étudiant.e.s du Master
Esthétique du cinéma / Université Toulouse Jean-Jaurès 2.

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Marion Bouvarel

Sa préférence à lui _

Entretien avec François Fehner

Entretien réalisé par Manuel Marin et les
étudiant.e.s du Master Esthétique du cinéma / Université Toulouse Jean-Jaurès Images d’Hélène Morsly

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Essai François Lola

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Travaux d'étudiants

Master esthétique du cinéma / Université Toulouse 2 (2020 - 2021)

Cinéma et patrimoine _

Par Elea Brossier, Julie Lavigne et Maryam Sadeghizadeh

La table des Ogres _

Par Nadia Matrak, Inès Escribano et Lionel Doyigbé

Du théâtre au cinéma : Les Ogres de Léa Fehner ou l’art de filmer le théâtre _

La table des Ogres _

Par Nadia Matrak, Inès Escribano et Lionel Doyigbé

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