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Après
le théâtre

La fabrication du film

Guidée pendant le tournage par un découpage ciselé quant aux intentions de chaque scène, l’équipe au grand complet s’élance au premier jour de tournage, fin août 2014, dans une parade sur les quais de Port-la-Nouvelle. Pour donner cette liberté dansante au jeu et à la technique, le travail a dû être accru en amont et en aval. La préparation, – de l’écriture du scénario au choix des costumes, des décors, des musiques, des couleurs, des lumières -, le montage des 85 heures de rushes et la post-production des Ogres ont nécessité un investissement important de la part d’une équipe animée et portée par l’énergie et les convictions de Léa Fehner. Le travail sur la musique de Philippe Cataix a lui accompagné tous les temps de travail sur le film, de sa genèse au montage, en passant par les improvisations de l’écriture et pendant le tournage.

Un lieu, un décor

Extraits de l’entretien avec Pascale Consigny, chef décoratrice _

paru dans En exclusivité | 13/03/2016

(…)

Quelles ont été vos sources d’inspiration ou vos références ?
Ce sont avant tout les photos de la famille de Léa, puisqu’on raconte une histoire inspirée de la Compagnie de l’Agit.
Mais j’ai aussi puisé dans des images très proches de moi, comme des photos de mes filles et du jardin de l’atelier de mon mari, le peintre Hervé Ingrand, qui ressemble un peu au campement ! Je me suis beaucoup inspirée de son travail d’artiste qui m’a aidée à comprendre celui de François Fehner et Marion Bouvarel et par suite celui de Léa.

Et puis avec Léa, nous avons regardé tout ce qui nous paraissait inspirant de près ou de loin : l’art contemporain, la peinture, la scénographie, les mises en scène de Peter Brook, les films (j’en ai regardé des dizaines pour piquer des trucs chez Fellini par exemple). Des performances des années 70, des spectacles de Pina Bausch, le spectacle Notes on the circus de la compagnie Ivan Mosjoukine que j’avais vu 15 fois !!
Ce travail de recherche a été passionnant. On ne l’imagine pas forcément en voyant le film mais ce grand désordre que nous avons créé de toute pièce trouve sa source dans ce long travail.

Léa Fehner a une formation de scénariste, était-elle très précise dans ses indications en termes de décor et d’accessoires ?
Oui, très précise mais très heureuse aussi des propositions de l’équipe. Léa est toujours très ouverte, très à l’écoute, tout en sachant très bien ce qu’elle veut !

Pour filmer ce “grand désordre”, quelle est sa méthode de tournage ? Improvisée ou préparée avec précision ?
Elle a le talent de savoir laisser place à l’improvisation, à la provoquer parfois, mais elle travaille énormément et quand elle arrive sur le plateau, elle maîtrise parfaitement chaque détail de la journée à venir ; aussi bien pour le poste mise en scène que pour celui des costumes, de la lumière, et de la décoration.
Elle travaille avec beaucoup d’attention avec les acteurs. Elle ne lâche jamais prise et n’abandonne jamais par dépit ! Sa passion est immense et nous entraine tous avec elle.

Les décors de cette troupe itinérante ont-ils été aménagés ou entièrement créés pour le film ?
Le chapiteau a une belle histoire. Le père de Léa l’avait fait fabriquer en 1970, il avait été revendu plusieurs fois et le directeur de production l’a retrouvé en Corse. Cela a été très compliqué de pouvoir le louer car il était réservé pour un mariage. On a failli l’abandonner pour un autre.
A ce moment-là, j’ai senti que ce chapiteau avait une âme spéciale pour Léa et qu’aucun autre n’aurait la même grâce. J’ai dit au directeur de production, Luc Martinage : c’est notre chapiteau, quoi qu’il arrive, c’est celui-là ou rien.
On a eu alors l’idée de trouver un autre chapiteau pour le mariage, avec le même code couleur, car les mariés avaient déjà prévu toute leur déco et les cartons assortis aux couleurs bleue et jaune.

A part ce chapiteau, tout a été recréé. On l’a même agrandi en créant une sorte de coulisse, une belle bâche aux motifs bleus et rouge étoilés, alors que l’intérieur de chapiteau est en bâche noire.
Par contre, nous étions implantés sur le lieu le plus venteux du monde, là où viennent du monde entier les champions de Kitesurf !!! Le chapiteau a failli s’envoler plusieurs fois, il m’est arrivé de me lever la nuit pour venir voir s’il tenait bon.
Un chapiteau c’est comme un grand voilier, ça a une âme et ça vous embarque ! Celui-là était devenu mon ami.

(…) Autre coïncidence, ma photo de profil depuis que j’ai ouvert mon compte facebook il y a plusieurs années est une photo de chapiteau de 1973 bleu et jaune !

(…) Toutes les caravanes ont été repeintes. Trouver les bonnes couleurs a été un casse-tête inimaginable. On ne voulait pas se tromper, on regardait aussi des films en se disant “on ne veut pas ressembler à ça”. Léa, qui ne lâche rien, est capable d’attendre la toute toute dernière seconde pour se décider !
Définir les couleurs impliquait de connaître leur position dans le campement pour créer une harmonie. On a du bouger les caravanes 200 fois avant de trouver leur place et de les peindre, la veille du tournage 

Avez-vous amené certains éléments ou une touche personnelle qu’elle n’avait pas prévu au départ ?
J’ai toujours cherché à être au plus près de ce que Léa attendait, mais on ne peut pas empêcher sa touche personnelle d’exister. Ce décor me ressemble aussi. J’avais le sentiment d’être en accord avec l’esprit de l’Agit. Léa prépare, défriche, mais ne prévoit rien. Je ne sais pas si elle s’attendait à un décor précis, mais on a tellement travaillé ensemble qu’il n’y avait pas vraiment d’inattendu possible.

La caravane “caisse” a été inspirée d’une photo que j’avais prise des années avant, d’une petite fille derrière sa caisse à la foire du Trône. Il n’y en avait pas dans la compagnie mais ils l’ont adoptée et s’en servent maintenant.

En préparation ou sur le tournage, un moment particulièrement heureux ?
Nous avions décidé d’avoir un arbre dans le décor. Une semaine avant de tourner, nous ne l’avions pas encore trouvé et j’avais très peur. Il devait être assez solide pour supporter le numéro d’acrobatie prévu et paraissait impossible à trouver !
Je réfléchissais à comment tricher un arbre en mélangeant des branches vraies et fausses mais nous n’avions plus le temps et un budget minuscule.

En arrivant pour la première fois sur le terrain où nous montions le décor, je vois, à 200 m sur le chemin, l’arbre somptueux que vous avez vu dans le film. J’ai toujours cru à un ange gardien du cinéma et que ce qui doit être dans le film arrivera de toute façon, et qu’à l’inverse ce qui ne doit pas y être n’y sera pas. (…).

© Cécile Mella

Port La Nouvelle _

Entretien avec Léa Fehner réalisé par Manuel Marin et les étudiant.e.s du Master Esthétique du cinéma / Université Toulouse Jean-Jaurès 2.
Photos : Hélène Morsly / Dessins : Aurélie Piau / Montage : Elisabeth Courbion

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Carte postale du tournage _

Une vidéo d’Hélène Morsly réalisée pour « L’Agit au vert », 2015

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Un découpage atypique

Entretien _

Léa Fehner

Entretien réalisé par Manuel Marin et les étudiant.e.s du Master
Esthétique du cinéma / Université Toulouse Jean-Jaurès 2

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Léa Fehner

Le travail de la scripte _

Entretien avec la scripte Annick Reipert

Capsule vidéo réalisée par Erwan Bernard, Valérian Démas, Maxence Amata, Tristan Samson, Thomas Hill, Angie Favier / Université Paul Valéry Montpellier 3

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Document de découpage
de la 1ère scène du film _

Première scène décrite dans ses intentions dans le document fourni par Léa Fehner à l’équipe technique.

Scène d’ouverture

Pas un découpage au sens strict.

Une masse de notes, de réflexions pour chaque séquence.

Revoir pour l’image, le cut, le mouvement : Amours chiennes, Ceux qui m’aiment prendront le train, Cassavetes – Opening Night, Amalric Tournée.

Les amorces, les flairs, le mouvement, l’épaule, les contrejours, la matière de la lumière, le surcadrage. 

Plan master souvent en longue focale ?

Elaborer des plans de guerre quand une séquence résiste au niveau du jeu… travailler aussi à la réappropriation en improvisation d’une intention de scène…

SEQU 1.

 

Première scène.

La scène. Le foisonnement. Partition plus grande que ce qui est écrit.

Et en même temps

On a envie de se faire emporter un peu sur des choses…

Partition de la présentation des personnages…

Le lieu pour la multiplicité des points de vue.

On a pas tranché, on sait pas qui est le personnage principal et c’est bien comme ça, ça parle du chœur.

 

Situation / tu l’attrapes comme tu peux…

Sur cette scène la première partie qui peut se découper en pensant à créer une incertitude, jeu avec le spectateur. Mouvement de bascule à isoler dans le début d’Opening Night. Focale à questionner. Chercher l’abstraction et en même temps perdre le spectateur, jouer avec lui en adjoignant à la scène des éléments du quotidien. Cheveux dans la bouche. Une cigarette qu’on fume. Un fil sur un collant qui pourrait se griller. Une drôle de poutre métallique qu’on attrape pour être en l’air.

Mouvement de bascule qui va soudain faire apparaître dans le champ un projecteur.

 

Pour le tournage de cette séquence : délimiter des blocs de tournage. Des chemins.

 

Fin : trouver l’efficacité, la tension pour maintenir l’effet de la chute. Donc peut être faire un effort de précision du découpage ici.

 

Pour cette scène, plus globalement : jouer avec le flair, les projecteurs dans le champ, les poursuites, les obstacles, les amorces, les spectateurs. Etre étourdissant, que la caméra elle même soit étourdie. Etre dans la foule, ne pas distinguer les comédiens des spectateurs par le point de vue.

Etre dans une multiplicité des points de vue.

Pouvoir passer des coulisses à un éclat de rire féroce de Christelle martyrisant un spectateur de l’autre côté du rideau. Brutalité du montage. Férocité.

 

Filmer aussi la technique. Les lumières. Les cordes. Les poulies. Les rideaux. Les éclats de lumière qui naviguent sur la technique. Les potentiomètres qui clignotent de couleurs dans la table régie.

Penser aux plans passage de relais du début de Ceux qui m’aiment prendront le train.

 

Les paillettes, les plumes, la sueur, la précision des gestes en coulisses mais une impression de fouilli total.

La question de la scripte : savoir choper ce qu’on peut dans le mouvement dans la vie qu’on recréer. Et en même temps être conscient de ce que le scénario échafaude comme présentation des personnages et ne pas le laisser sur le bord de la route.

 

Cut : costumes qui passent devant la caméra et qui la recouvre.

 

Son :

Danse Gisèle : la peau. Le souffle. Les impacts de peau. L’effort / et en parallèle les bruits de l’accordéon quand il ne joue pas. Le souffle. Les crissements (un côté bateau)

Moments avec les spectateurs : tournage isolable.

Penser à la gestion des off.

Histoire de tempo de la musique (avoir une oreillette)

(éclats à avoir en son seul)

Mode de tournage scène coulisses : avec son voix, avec son spectacle sans musique etc.

Question importante du placement des voix en coulisses.

Chute : une construction sonore à postériori. Cri / chute (bruitage)

Grande partie de post synchro ?

La 1ère scène du film _

Extrait du film de Léa Fehner produit par Bus Production

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En tournage,
le travail de l'image

En tournage _

Photos : Cécile Mella. Montage : Elisabeth Courbion.
Musique : Philippe Cataix

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Le travail de Julien Poupard commenté par les comédiens _

Images : Hélène Morsly.
Entretiens avec Marion Bouvarel et François Fehner réalisé par Manuel Marin et les étudiant.e.s du Master Esthétique du cinéma / Université Toulouse Jean-Jaurès 2

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© Hélène Morsly

Entretien avec Julien Poupard,
chef Opérateur _

Afcinéma, 16/03/2016

Ils vont de ville en ville, un chapiteau sur le dos, leur spectacle en bandoulière. Dans nos vies ils apportent le rêve et le désordre. Ce sont des ogres, des géants, ils en ont mangé du théâtre et des kilomètres. Mais larrivée imminente d’un bébé et le retour d’une ancienne amante vont raviver des blessures que l’on croyait oubliées. Alors, que la fête commence !

J’ai rencontré Léa pendant mes études à La Fémis. J’avais beaucoup aimé son premier film, Qu’un seul tienne les autres suivront. Pour Les Ogres, elle voulait faire un film plus joyeux, plus solaire, plus libre.
Léa avait à cœur de trouver un type de tournage qui fasse le lien entre l’expérience du théâtre itinérant et celle du cinéma. Elle aspirait à une pratique cinématographique plus collective, moins hiérarchisée, mettant l’idée du groupe au centre de la fabrication du film.
J’ai donc constitué une équipe en conséquence, légère et polyvalente. Comme on avait assez peu de changements de décor, on a pu fonctionner avec deux assistants opérateurs, un chef électro et des renforts électro.
Et ça a vraiment pris. Grâce à Léa, le tournage fut une aventure humaine incroyable, nous étions une vraie troupe. Une ambiance joyeuse, beaucoup de solidarité, je me souviens de comédiens qui nous aidaient à tirer des prolongs ou à installer des projecteurs.

Recherche visuelle
Léa voulait une image « naturelle mais légèrement stylisée. C’est baroque mais cela doit rester punk, déjanté dans l’image, violent avec les chairs. Fellini chez la Mano Negra, Flaherty chez Fritz the Cat ».
On a beaucoup cherché, échangé des photos, des films. On a parlé de comment “salir” l’image, chercher la poussière, le grain. Essayer de ne pas tout voir, garder du mystère, de la poésie. On a beaucoup parlé de Cassavetes. Meurtre d’un bookmaker chinois, Opening Night.
Une image belle et modeste. Quelque chose de tranchant. Et surtout une réflexion plus profonde sur la place de la caméra entre le comédien et la lumière.
Les photos de Bruce Davidson. Là aussi le grain est puissant. Le contraste très fort et des “flares”, des halos qui surgissent.
Alexandra Sanguinetti était aussi une référence importante. Pour son rapport à l’enfance, ses couleurs franches et la poésie qui se dégage des clichés.

Essais image
J’ai fait plusieurs séries d’essais.
La première où j’ai comparé la Sony F55, l’Arri Alexa, la Red Dragon, dans les studios de TSF. Lors de la projection de ces essais au Max Linder, Léa avait clairement une préférence pour la Red Dragon. On a étalonné, avec Richard Deusy, afin de rapprocher les images des trois caméras entres elles. Finalement, c’est sur la Red que l’on a le plus “tiré” et on a sûrement fait apparaître des défauts, un peu de couleur dans les noirs, un peu plus de contraste. Et tout de suite l’image paraissait moins neutre que l’Alexa ou la F55, elle avait plus de caractère, plus de “saleté”.
Ensuite, j’ai fait des essais in situ, quinze jours avant le tournage, sur le premier campement. Le chapiteau était dressé. On a pu le filmer et essayer quelques déambulations.

On a aussi testé différents moniteurs pour Léa. Cela peut paraitre étonnant de tester ce type de matériel à ce moment précis mais cela nous a bien aidés à comprendre comment le plateau allait fonctionner. On cherchait donc quelque chose de léger et mobile. Avec Ronan, mon assistant, on a choisi de comparer un petit écran TV Logic 5’ avec une liaison HF HD et un petit Transvideo 5’ avec HF SD intégré. Et il n’y a pas eu photo… La liaison HF HD occasionnait des coupures de signal intempestives alors que le problème était moindre en HF SD (sûrement à cause de la structure métallique du chapiteau). Et l’encombrement du Transvideo HF SD était aussi bien meilleur. On y perdait en qualité d’image mais je crois, dans le fond, que ce n’est pas si mal pour un réalisateur de ne pas voir une image trop « définitive”. Pour ces essais, on a cherché longuement, avec l’étalonneur Richard Deusy, à mettre en place une LUT.

On a alors commencé à travailler la couleur. On a fait en sorte qu’il y ait moins de nuances dans chaque couleur. Des jaunes très saturés. Du contraste dans les basses lumières et quelque chose d’éclatant dans les blancs. On a pas mal maltraité l’image pour faire apparaitre du grain, des aspérités, quelque chose d’organique.
Ce travail d’étalonnage me plaît beaucoup. J’y retrouve quelque chose qui s’apparente aux choix de pellicules. Définir la palette de couleurs du film. Finalement l’objectif des caméras numériques aujourd’hui est de capter le maximum d’informations et elles le font toutes plutôt bien. J’ai l’impression que cette étape dite de “création de LUT” joue un rôle primordial dans le contrôle artistique de l’image. On peut tordre le réel, chercher une subjectivité dans l’image, inventer une esthétique.

Tournage
Léa souhaitait construire un plateau à 360 degrés dans lequel on pourrait être très libre. Pour l’éclairer, on a utilisé ce qui était déjà présent naturellement dans le décor : les guirlandes d’ampoules et les projecteurs de théâtre, de manière à ce que les comédiens soient capables d’inventer sans être arrêtés pour des questions d’éclairage ou de machinerie.
En même temps, tout cet éclairage était très réfléchi. On a fait un prelight important du chapiteau et on a filmé des déambulations avec les acteurs lors de notre deuxième série d’essais. On a alors ajusté les endroits trop sombres ou trop lumineux.
On a vraiment travaillé ensemble avec la chef déco, Pascale Consigny, et le chef électro, Nicolas Maupin, à ce sujet. On a sélectionné des glaces maquillage, des guirlandes, des lampes alambiquées. On a ajouté quelques Lucioles, Fresnel et Par64 accrochés à la structure. Et quelques projecteurs LED que l’on tenait à la main et qui tournaient en même temps que la caméra et les acteurs.
Toutes ces lampes de jeu, projecteurs de spectacle et projecteurs de cinéma, étaient réunis sur une même console et on pouvait tout piloter à distance avec un iPad !
Et la lumière vibrait, bougeait. Souvent pour nous arranger par rapport à un visage, parfois pour éviter des ombres de caméra ou de perches sur un comédien…

Les Ogres est un film choral avec beaucoup de comédiens. Assez vite, la caméra épaule s’est imposée. Il fallait que ce soit une danse. Que la caméra se retrouve être la main qui guide le spectateur dans un pas de deux, une ronde. La caméra devait être comme étourdie.
Tout au long du tournage, on a travaillé à créer une sorte d’hyper vigilance du plateau, une concentration de l’ensemble de l’équipe pour toucher la grâce, attraper la justesse.
Les acteurs étaient libres, il fallait que la caméra le soit aussi vraiment.
Certaines scènes étaient tournées avec un découpage plus classique et d’autres sans que l’on fasse jamais deux prises identiques. Il fallait donc que l’ensemble de l’équipe soit réactif à cette improvisation permanente.

Lorsque la gamine (Adèle Haenel) perd les eaux en plein spectacle, on avait prévu de tourner la scène à l’intérieur du chapiteau en plan séquence. Une fois que toute la troupe passe la porte pour sortir du chapiteau, personne n’avait envie d’arrêter le plan. Du coup les acteurs sont sortis ne sachant pas trop quoi faire. J’ai réajusté le diaph à la volée, le perchiste a équipé “à l’arrache” son micro d’une bonnette antivent. L’assistant réal a lancé toute la figuration du parking qui n’était pas du tout briefée… Il y avait quelque chose de magique. Les acteurs ne savaient pas ce qu’ils devaient faire et ça correspondait tellement à la scène !
C’est vraiment incroyable, on passe notre temps à fabriquer les situations et c’est amusant de voir comme parfois le réel peut nous rattraper !

Le travail du montage
et de la post-production

Le montage _

Entretien avec Julien Chigot, monteur

Entretien réalisé par Manuel Marin et les étudiant.e.s du Master
Esthétique du cinéma / Université Toulouse Jean-Jaurès 2

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Julien Chigot

Le monteur,
meilleur ami des comédiens _

Entretien avec Léa Fehner

Entretien réalisé par Manuel Marin et les étudiant.e.s du Master
Esthétique du cinéma / Université Toulouse Jean-Jaurès 2

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Léa Fehner

Au crépuscule de l’accomplissement _

article de Marina Roche-Lecca
écrit pendant la post-production du film

Après le tournage à Port-la-Nouvelle en août et septembre 2014, j’ai retrouvé Léa Fehner dans les studios de Poly Son à Paris au mois de juillet 2015.
On entre dans la salle de velours, Olivier et Sarah travaillent au mixage devant un extrait du film : la troupe est sur les routes, François téléphone à Marion suite à la chute de l’acrobate. Puis Inès appelle son père pour l’avertir de l’absence de la DUE le jour de l’accident, elle est inquiète, lui non. Monsieur Déloyal et François ont une conversation autour des anti-dépresseurs.

Ce sont les premières images que je vois. La scène est visionnée plusieurs fois. Léa, Olivier et Sarah sont à l’affût de tous les détails qui n’en sont pas.

Les couleurs des images me semblent naturelles. On sent quelque chose de très juste, les maquillages des comédiens transpirent la vérité. On est dans la vie, c’est la vie et pourtant nous sommes dans ce studio de mixage à visionner une séquence qui a peut-être été jouée cinq fois. Les techniciens veillent à l’intensité de la sonnerie du téléphone dans cette scène et cherchent à rendre les discours des comédiens audibles tout en préservant le naturel de la mise en scène. A l’instar d’un peintre qui hésiterait entre un peu plus d’ocre ou de jaune à un endroit où l’œil amateur ne se poserait peut- être pas, Olivier et Sarah prennent le temps de la précision qui participera au fait que la scène fonctionnera ou non. Ils s’attachent aussi à trouver le bon ton du bruit que fait la bouteille en plastique lorsque François la tend à Monsieur Déloyal. Travailler le son c’est mille métiers, mille oreilles, il faut trouver le bon canal, et évidemment, il ne tient parfois qu’à un fil.

Ensuite, on se retrouve près de Chignol qui annonce aux autres véhicules le prochain arrêt : « Dans dix minutes on fait un arrêt ! Poil à la raie ! ». Dans la salle de mixage, Olivier, Sarah et Léa remarquent que l’on entend pas le « p » de « poil ». Léa raconte que le traducteur anglais n’a d’ailleurs pas réussi à trouver l’équivalence de ce jeu de mots.

Puis on est à l’arrière de la camionnette où De Chaunac joue avec les enfants. Il y a beaucoup de rires et de bonheur dans ce passage, je retrouve la joie du scénario.
On écoute les bruitages puis les voix, on retourne au bruitage, j’ai l’impression d’entrer dans un secret. Les bruitages seuls procurent une sensation inédite, celle d’entendre tout ce à quoi notre oreille ne peut pas avoir accès dans le quotidien. On entend des sons comme on observerait des insectes. On passe d’un monde à un autre, d’une dimension sonore à une autre, d’un rapport au vivant à un autre. La rareté qui m’impressionne est le fruit d’un travail obstiné !
La voix de Joël Collado émise à la radio dans la voiture du comédien est transformée en voix féminine pour des questions de droit.
Pendant qu’Olivier règle les derniers détails évoqués, Sarah diffuse des morceaux de flamenco pour que Léa choisisse celui qui ira sur l’image suivante. Il y a sept morceaux à écouter. Puis du punk. Léa est enceinte et je me dis que tous ces sons doivent aussi l’éprouver.

Après quelques heures passées dans ce studio, je marche un peu avec Léa et elle m’offre trois heures d’échange. Elle n’a pas encore parlé du film aux journalistes et c’est difficile de démêler entre la fiction et les personnages réels, tout semble fragile et elle n’a pas encore envie d’enfermer tout cela dans des mots.

Dans ce film, Léa façonne une histoire qui est encore en train de s’écrire et je viens l’interroger sur un film en fin de post-production. Nous sommes dans des interstices. Pendant le tournage il était difficile d’en parler, Léa n’avait pas envie de résumer son film pour ne pas brider le processus de création. Au moment de la post-production la difficulté évolue mais persiste. Comment s’autoriser à prendre la parole quand on approche de l’aboutissement d’un travail de cinq ans ? Les Ogres l’a fait naviguer entre mille périls. Il ne reste de ce défi que de la fusion. Un récit romanesque et personnel, sur un fil d’équilibre. Je l’imagine puissant, impudique, généreux et gracieux. Je l’imagine ainsi car lorsqu’elle explique comment elle a eu envie de faire vivre un groupe, c’est-à-dire des individus qui se sentent vivre dans le collectif, elle évoque la beauté et la fatigue, la liberté et l’énergie. Ces mots me rappellent la note d’intention qui accompagnait le scénario, une note écrite dans un élan d’amour, un besoin impérieux de raconter cette histoire.

Faire un film, c’est à peu près cinq ans d’une vie. Entre ses deux films, Léa Fehner a eu son premier enfant. En faisant jouer son fils, en confiant le montage à son mari, elle a résolu cette scission entre le travail et la famille, et ce choix lui confère encore plus de justesse quant à son projet de film. Les Ogres mêle plusieurs disciplines dans une nouvelle approche du cinéma. Il permet également à Léa Fehner d’assumer une vision de la famille et du travail où l’amour a toute sa place.

Finir en beauté, finir en musique

© Cécile Mella

La musique _

Entretien avec Léa Fehner par Claire Vassé

PARLEZ-NOUS DE LA MUSIQUE DU FILM.

Philippe Cataix, le compositeur de la musique du film, a composé celle de plusieurs spectacles de mes parents. Je voulais retrouver cet esprit des musiques qui avaient bercé mon adolescence mais aussi inventer autre chose, très au présent. Philippe a alors décidé d’improviser sa musique lors des répétitions avec les comédiens. Avec son accordéon, il a épousé leurs inventions, leurs trouvailles. Petit à petit, sa musique aux influences plutôt slaves s’est déplacée vers le tango… ce qui s’est révélé très cohérent par rapport au mouvement d’attraction-répulsion entre les hommes et les femmes que raconte le film. Philippe Cataix jouit par ailleurs de deux casquettes puisqu’il joue aussi dans le film. Nous avons pu ainsi travailler une musique qui vienne de l’intérieur du film, qui trouve son souffle dans l’énergie de la troupe elle-même.

Cela s’est d’ailleurs retourné contre moi, pour le meilleur. Au départ le film devait se finir sur une chanson de Nougaro, « Rimes ». Mais les comédiens ont fait un véritable putsch. Nouveaux et anciens aimaient tellement « Une femme », une composition originale de Philippe, qu’à quelques jours du tournage de cette séquence, ils m’ont conviée à les écouter chanter cette chanson.

Leur enthousiasme irradiait. Je leur en sais gré car j’aime l’idée que le film se termine sur cette note féminine, sur cette tempête réclamée par l’âme des femmes du film…

« Une femme », final du Cabaret des Ogres, Agit au vert _

Toulouse, août 2016

Vidéo : Hélène Morsly

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Récit d’intentions
La musique et son histoire avec le film _

Par Léa Fehner (25/09/2015)

La musique de ce film a une histoire, un passé.

Elle n’est pas née lors des étapes de préparation du film, ni même lors du scénario.

Elle est enfouie en moi depuis plusieurs années, comme le son d’un période particulière, comme le chant d’une époque que nous avions ensemble, Philippe Cataix et moi, à retrouver. Elle est à la fois le témoin et le chemin, celle qui raconte ce que nous avons traversé il y a maintenant 15 ans et celle qui atteste de ce que nous sommes devenus, de ce qui a changé, de ce qui s’est transformé, à la fois au fil du temps et au fil de l’écriture. Mais peut être faut-il que je m’en explique un peu plus…

 

Au cœur des années 90, mon père décida de monter une pièce autour de plusieurs pièces en un acte de Tchékhov : « Le Cabaret Tchékhov ». Il embarqua avec lui une troupe joyeuse et fantasque, composée de musiciens, d’acrobates et de comédiens. Caravanes et permis poids lourds dans leur besace, les mots du théâtre à offrir au plus offrant, ils décidèrent d’arpenter la France avec femmes et enfants pour épouser l’aventure du théâtre forain sous chapiteau. C’est à cette époque que nous avons fait la rencontre de Philippe Cataix. Ce dernier s’est retrouvé happé dans cette histoire, embarqué sur les routes comme les autres à la fois comme comédien, régisseur, manutentionnaire et cuisinier. Comme les autres à un détail près cependant : c’est lui qui allait composer la musique de ce nouveau spectacle. Mon père le connaissait peu mais avait été séduit dès le début par cet accordéoniste tatoué, par ce poète retors et flamboyant, qui faisait rouler les mots et les blessures avec un demi sourire d’enfant. Ensemble, ils ont passés des heures à lire et à relire les nouvelles de Tchékhov, émerveillés par l’art et la puissance qui s’y déployaient, comme si une fenêtre s’ouvrait sur les âmes, avec une tendresse lucide et implacable… La musique du spectacle est née de ces lectures, de ce bouleversement qu’a provoqué en eux la rencontre avec cet auteur, la rencontre avec son regard. Mélange d’accordéon et de violon slave, de chansons au verbe haut et tortueux et de rondes entrainantes et foutraques, la bande sonore de ce spectacle a usé les talons de tout ceux qui y aventuraient une oreille, tordu le ventre de ceux qui y découvraient Tchékhov, empli de son lyrisme et de sa gaieté mélancolique les histoires de ces hommes et femmes excessifs et perdus, heureux et désespérés, de ces héros Tchékhoviens qui petit à petit débordaient de la scène pour jouer leur partition dans nos vies…

Et puis – accessoirement ? surtout ? – cette musique a bercé mon adolescence, inscrivant en moi une parenté, un lien indissociable entre ces heures et ces sons…

Quelques années plus tard, après un premier film sur les parloirs de prison (Qu’un seul tienne et les autres suivront / Prix Louis Delluc du premier film), je décidai de revenir sur cette période de ma vie en faisant œuvre de fiction. « Les Ogres » est né de ce désir apocryphe, de cette envie de réécrire mon histoire pour en faire un film flamboyant et romanesque sur ces hommes et ces femmes qui vivent en tribu sans en faire tout un plat, qui réalisent maladroitement un rêve de collectif que tous auraient jusqu’ici abandonné, n’ayant de cesse d’abolir la frontière entre le théâtre et la vie dans une volonté à tout crin de vivre intensément. « Les Ogres » ce sont ces hommes et ces femmes qui bouffent la vie et se dévorent eux mêmes, qui mélangent tout sans penser à se préserver : travail, famille, amour et amitié. Est-ce que je les ai connus ? Est-ce que je les ai imaginés ? Qu’importe, l’ambition ici n’était pas de faire un documentaire, ni même une œuvre qui penserait une seule seconde à être fidèle… mais un film les racines dans le vivant et les branches hautes tendues vers la fiction…

« Les Ogres » sont alors devenus des êtres hybrides, à mi chemin entre les ogres de mon enfance et ceux nés du plaisir profond et puissant de raconter des histoires…  Ou comment puiser dans la vie qui fût la notre pour essayer d’embarquer dans une danse, dans un récit où l’on mêlerait la réalité à la fiction la plus totale.

 

Drôle de mélange, drôle de pari où la musique allait tenir évidemment une place centrale.

Il s’agissait tout à la fois de retrouver le chant de ce passé et d’inventer la musique du présent. De ne surtout rien ramener dans l’écrin de naphtaline du temps mais de retrouver une pulsation, un battement de cœur spécial, qui a peut-être eu lieu à cette époque mais qui n’est aujourd’hui intéressant que s’il est fait au présent pour le présent…

Il s’agissait de ne rien restituer en l’état mais de comprendre comment cette musique en moi avait grandi, s’était transformée, pouvait trouver en son sein le mélange de l’aujourd’hui et du souvenir, comment elle pouvait être la mémoire et en même temps ne jamais être nostalgique. Surtout pas nostalgique…

Les hommes et les femmes dont je parle dans mon film n’ont pas le temps pour ça. Ils n’en ont pas même l’ombre d’un désir. Ils sont sur la route, seuls les intéresse ce qui se vit aujourd’hui, ce qui se renouvelle, ce qu’ils font pour ne pas complètement mourir sans se débattre…

 

Alors peut être que le plus simple aurait été pour moi d’aller voir ailleurs, de trouver dans l’étranger à cette histoire la possibilité du recul. Mais à l’image de ce que je racontais, j’ai au contraire décidé de tout mélanger et de chercher avec Philippe Cataix comment nous allions trouver cet entre-deux, comment nous allions par la musique habiter ces allers-retours incandescents entre personnes et personnages, entre fiction et réalité…

Tout comme j’ai fait improviser des comédiens qui avaient traversé ces histoires sur la fiction que je mettais en place, j’ai eu envie dès le départ d’embarquer Philippe Cataix à mes côtés, pour le faire à son tour se trahir, s’imaginer, se magnifier, se mentir, se révéler et amener sa poésie et son histoire dans notre réinvention insolente.

 

Quelles ont été alors nos intentions ? Comment s’est déroulé notre travail ?

Les mots deviennent ici difficiles pour expliquer le processus créatif pour quelqu’un comme moi qui ne connaît pas bien les mots de la musique.

Bien sûr nous avons réécouter les vieilles chansons, bien sûr nous avons retrouvé les anciens thèmes. Parce qu’il fallait déjà savoir d’où nous partions. Depuis quel point de départ entreprendre le voyage.

Puis nous nous sommes interrogés sur les moyens d’écriture de cette nouvelle musique.

D’un côté il y eut évidemment le travail solitaire de Philippe Cataix, travail plus classique de composition de musique.

De l’autre nous voulions essayer de retrouver dans la composition musicale quelque chose de l’écriture de plateau que nous recherchions avec les comédiens.

Quelque chose qui s’écrit sur le moment, sur le vif, en accord avec le groupe.

Aussi, lors du travail d’improvisation sur le spectacle avec les comédiens (effectué en amont du tournage), Philippe Cataix était là et improvisa à son tour la musique du film au contact de leurs inventions, réagissant à leurs corps, leurs mouvements, leurs propositions. Les idées naissaient de ses sons, les sons de leurs idées. Comment dès lors démêler d’où sont venues les directions ? L’important n’est pas là mais plutôt, au même titre que les répétitions de la musique ont permis à des comédiens ne se connaissant pas tous de devenir en quelques semaines une troupe, cette méthode nous a permis de trouver une vraie organicité entre ce que nous avions à raconter et la musique qui allait l’accompagner.

 

Nous ne sommes aujourd’hui évidemment plus les mêmes, les tragédies et l’âge sont passés sur nous. Aussi, lors de ce travail, la musique lentement s’est déplacée. De slave, elle s’est rapprochée du tango… épousant le ballet d’attraction-répulsion entre hommes et femmes qui ne cessait de peupler le scénario de mon film. Ce n’était pas intentionnel ou prémédité, mais cela s’est fait naturellement lors des répétitions avec les comédiens. En cohérence avec le sens de ce qu’ils proposaient.

La pulsation, la rythmique du tango s’accordait avec cette absence de répit que s’offre les personnages du film, avec leur voracité. Cette musique semble toujours sur le fil, au même titre que les protagonistes. Sur le point de s’effondrer mais trouvant toujours au dernier moment un nouveau souffle.

Et puis le tango est une danse et le film ne parle que de ça. Comment continuer à danser ensemble, à avancer sans savoir de quoi nos prochains pas seront faits, comment marcher ensemble dans une direction sans cesse renouvelée et impromptue et accorder pourtant nos pas. Et puis comment faire confiance, comment s’abandonner à celui qui guide ou s’y refuser. Comment s’aimer en somme.

Ce fut pour moi une heureuse nouvelle. Déjà, en amont du tournage, la musique se décollait de ce qu’elle avait pu être et écoutait les corps au présent.

 

L’accordéon s’est ainsi imposé très vite. Parce qu’il prolonge intimement le corps de Philippe Cataix et lui permet un travail d’une sensibilité que seul le compagnonnage constant avec un instrument permet.

Et puis parce que l’accordéon ce n’est pas n’importe quoi pour les théâtreux itinérants. Ça se trimballe. On le porte en sac à dos et pourtant ça apporte avec lui sa puissance de feu, sa portée mélodique. Toujours penser à ça, me disait mon père : pauvreté des moyens, puissance de l’effet. Un des mantras du théâtre itinérant, théâtre pauvre soit dit en passant.

 

L’accordéon allait aussi être physiquement dans le film puisque Philippe jouait un des personnages et accompagnait en direct le spectacle du film.

(La musique serait donc jouée en même temps que nous tournerions, cela fût compliqué certes en montage mais passionnant pour l’énergie que le groupe a réussi à y puiser).

Le reste des instruments, pour ce qui concerne la partie diégétique du film (la musique du spectacle) ont été trouvés avec la même exigence de simplicité : ces hommes et ces femmes vont en parade, arpentent les rues pour chercher les spectateurs / ces comédiens vont devoir tout à la fois mélanger leur travail de jeu et leur partition musicale lors des prises du tournage – alors qu’à cela ne tienne, ils joueront ce qu’ils savent jouer. Tel comédien maîtrise la clarinette, tel autre le soubassophone… nous aurions peut être aimé d’autres instruments mais ce sont les êtres qui priment et qui dictèrent nos choix… Et ceci non pas par manque de moyens mais par souci de cohérence.

 

Aussi pendant longtemps, nous avons pensé que la musique extra-diégétique du film allait briller par le contraste qu’elle apporterait. Pendant longtemps, nous avons pensé que ces deux chemins, musique diégétique (associée au spectacle) et musique extra-diégétique du film, se distingueraient autant par l’instrumentation que par les thèmes. Nous nous gaussions des changements que nous pourrions trouver, nous intellectualisions comment séparer la musique du groupe, de la troupe et ce qui allait devenir la voix de certains personnages principaux, comme une musique sous-jacente, solitaire, une voix souterraine… Mais le chemin d’un film est plus tortueux et au montage, le monteur n’eut de cesse de replonger dans nos premières étapes d’écriture. Trouvant dans nos essais des tentatives qui alimentaient ce qui allait faire la sève du film : le bonheur du groupe, sa force, sa puissance et sa violence. Cherchant non pas le distingo, le constraste, mais la variation. Ou comment mélanger sans cesse musique de théâtre et musique de leur vie comme eux même mélangent théâtre et vie sans y retrouver ce qui fait spectacle ou ce qui s’y donne ; sans retrouver ses petits entre la scène et le théâtre de leur quotidien…

Plus difficile à penser donc mais – je l’espère – infiniment plus juste et à l’écoute du cœur des personnages…

 

Parfois les instruments ont varié, un piano remplace l’accordéon quand celui ci est à bout de souffle, reprenant une mélodie qui semblait joie dans la première partie du film pour y déployer sa tristesse sous-jacente. Parfois le morceau est le même entre la scène et la vie, comme un rappel, un souvenir ou comme une manière de sentir que tout a du mal à se distinguer et que cela fait partie intégrante d’une manière de vivre et de s’y perdre. Parfois au contraire ce sont la musique et ses textes (puisque plusieurs musiques sont accompagnées de textes) qui résonnent dans ce qui se vit, les mots apportant leur coloration, leur partition inavouée à des personnages qui taisent sûrement beaucoup derrière tout ces cris (Inès et son « petit jouet », Marion et « une femme à la fenêtre »). Et puis, dans un dernier mouvement, la musique diégétique chanté par tous est devenue extra diégétique, et le groupe est devenu la voix de cette jeune mère, l’accompagnant à gorges déployées dans ce que l’on croit être sa prochaine solitude…

Une manière peut être, de boucler la boucle.

 

Tout cela ne va pas sans lyrisme évidemment, ou sans romantisme. J’ai cherché à ce que la musique soit à l’image des personnages : franche, aimante, très premier degré comme je ne cessais de le répéter à Philippe lors de nos périodes de travail. Elle aussi cherche le bonheur. Elle aussi passe de la douceur à la tonitruance. Elle aussi n’a pas peur des sentiments mais au contraire s’y engouffre sans pare-feux, au risque du ridicule ou de la fragilité face aux regards extérieurs.

Pour la musique aussi, et cela comme à chaque étape du processus de réalisation de ce film, nous avons cherché à être dans la maison en feu et pas dehors en train de la regarder… Au risque de se brûler. Mais quel peut être l’intérêt d’une aventure aussi prenante que celle d’un film s’il n’y a pas le moindre danger ?

Travaux d'étudiants

Master esthétique du cinéma / Université Toulouse 2 (2020 - 2021)

© Cécile Mella

Cinéma et Patrimoine _

Par Léa ASSAYAH et Wanda FORT

La lumière ans "Les Ogres" _

Par Xixiang CHENG

Le montage face aux Ogres _

Par Maxime Julien, Magdalena Birks & Rosa Fuentes